23

 

Pour tout le monde, il s’appelait Hiram Yaeger. Certains, cependant, le surnommaient aussi Pinocchio pour sa fâcheuse habitude de fourrer son grand nez dans les réseaux d’ordinateurs avec l’objectif avoué de pirater leurs logiciels. Son domaine était le dixième étage du siège de la N.U.M.A., celui des communications.

Sandecker l’avait engagé pour réunir et stocker tout ce qui avait été publié dans le monde sur les océans, données scientifiques ou historiques, faits établis ou théories. Yaeger s’était attelé à cette tâche avec enthousiasme et, en moins de cinq ans, il avait constitué une formidable banque de données.

Yaeger travaillait selon des horaires fantaisistes. Il se montrait rarement aux réunions mensuelles obligatoires et pourtant l’amiral le laissait tranquille car, entre autres talents, il possédait celui de pouvoir percer les codes de sécurité donnant accès à presque tous les systèmes informatiques disséminés à travers le monde.

Toujours en Jean, il avait de longs cheveux blonds, parfois ramenés en queue de cheval. Avec sa barbe qui lui mangeait le visage et ses yeux inquisiteurs, il ressemblait à un prospecteur perpétuellement en quête d’eldorado.

Il était installé devant un terminal d’ordinateur monté dans un coin, à l’écart des fouillis d’appareils électroniques divers de la N.U.M.A. Debout à côté de lui, Pitt regardait s’inscrire les lettres vertes sur l’écran.

« C’est tout ce qu’on obtiendra du système de l’administration maritime, fit Yaeger.

— Rien de neuf là-dedans.

— Et maintenant ?

— Vous pouvez pirater le réseau du quartier général des gardes-côtes ?

— Enfantin », répondit Pinocchio avec un sourire.

Il consulta un épais carnet noir, trouva le code qu’il cherchait et le composa sur un téléphone à touches relié à un modem. L’ordinateur des garde-côtes accepta le mot de passe et répondit : Formulez votre demande.

Yaeger interrogea Pitt du regard.

« Demandez un résumé de la carrière du Pilottown. »

L’informaticien s’exécuta et les renseignements désirés apparurent sur l’écran. Pitt les étudia, notant toutes les transactions dont le cargo avait fait l’objet depuis son lancement, les noms de ses différents propriétaires tant qu’il avait battu pavillon américain et les hypothèques qui avaient été prises sur lui. Rien ne manquait, mais le Pilottown avait cessé d’être répertorié après avoir été vendu à l’étranger, en l’occurrence à la Kassandra Phosphate Company d’Athènes.

« Vous trouvez ? demanda Yaeger.

— Encore un coup pour rien.

— Et la Lloyd’s ? Elle a sûrement quelque chose dans ses dossiers.

— On peut toujours aller voir. »

Pinocchio compulsa à nouveau son carnet puis pénétra dans le système de la grande compagnie d’assurances maritimes. Les données arrivèrent à la vitesse de quatre cents caractères par seconde. L’histoire du Pilottown était cette fois beaucoup plus complète, mais il ne semblait rien y avoir d’intéressant. Soudain, une ligne en bas de l’écran attira l’attention de Pitt.

« Je crois qu’on tient une piste.

— Je ne vois rien, fit Yaeger.

— Regardez. Après Sosan Trading Company.

— Ils figurent en tant qu’affréteurs. Nous le savions déjà.

— Non. Ils étaient classés comme armateurs, pas comme affréteurs. Ce n’est pas la même chose.

— Qu’est-ce que vous espérez en tirer ? »

Pitt se redressa, l’air pensif.

« Si les armateurs utilisent ce qu’on appelle des pavillons de complaisance, c’est pour échapper aux coûteuses licences de navigation, aux impôts et à certaines lois réglementant l’exploitation. Et également parce qu’ils se mettent ainsi à l’abri de toute enquête. Il leur suffit de créer une compagnie fantôme dont le siège est une vulgaire boîte postale située, dans le cas qui nous occupe, à Inchon en Corée. Par contre, s’ils passent par un affréteur qui se charge de la cargaison et de l’équipage, il y a obligatoirement transfert d’argent, donc recours aux banques. Et les banques ont des archives.

— Oui, mais je ne comprends pas. Si j’étais à leur place, pourquoi irais-je utiliser un intermédiaire quelconque alors qu’on peut retrouver ma trace par le canal des banques ? Je ne vois pas l’intérêt.

— Une escroquerie aux assurances, expliqua Pitt. L’affréteur fait le sale boulot et les armateurs empochent l’argent. Prenez par exemple le cas d’un pétrolier grec il y a quelques années. Un tramp appelé le Trikeri. Il est parti de Surabaya en Indonésie avec ses citernes remplies à ras bord. Après être arrivé au Cap, en Afrique du Sud, il s’est rendu discrètement à un pipeline offshore où il a vidé tout son chargement à l’exception de quelques milliers de litres. Une semaine plus tard, il sombrait mystérieusement au large de la côte africaine. On a alors présenté une demande d’indemnité pour le bateau et une pleine cargaison. Les enquêteurs étaient persuadés qu’il avait été coulé intentionnellement, mais ils n’avaient aucun moyen de le prouver. L’affréteur du Trikeri a été longuement interrogé puis s’est tranquillement retiré des affaires. Les armateurs déclarés ont ramassé l’argent de l’assurance et l’ont fait parvenir par l’intermédiaire d’un réseau de sociétés écrans aux véritables propriétaires et organisateurs de l’escroquerie.

— Ça arrive souvent ?

— Plus souvent qu’on ne le croit, répondit Pitt.

— Vous voulez examiner le compte bancaire de la Sosan Trading Company ? »

Pitt jugea inutile de demander si c’était possible. Il se contenta de hocher la tête.

Pinocchio se leva et se dirigea vers un classeur. Il revint avec un gros livre de comptabilité.

« Les codes de sécurité bancaires », fit-il simplement.

Il se mit au travail et pénétra le système informatique de la banque de la Sosan Trading en moins de deux minutes.

« Je l’ai ! s’exclama-t-il. C’est la succursale d’Inchon d’une banque de Séoul. Le compte a été soldé il y a six ans.

— Les opérations figurent encore ? »

Sans répondre, Yaeger tapa le code nécessaire puis, se radossant dans son fauteuil, attendit. Le numéro de compte s’inscrivit sur l’écran, suivi d’une question concernant les relevés mensuels désirés. Il interrogea Pitt du regard.

« De mars à septembre 1976 », précisa celui-ci.

L’ordinateur coréen s’exécuta.

« C’est curieux, fit Pinocchio en étudiant la réponse. Il n’y a eu que douze transactions en sept ans. La Sosan Trading devait payer ses frais généraux et ses employés en liquide.

— D’où viennent les dépôts ? demanda Pitt.

— D’une banque de Berne, en Suisse.

— On brûle.

— Oui, mais là ça se complique. Les codes de sécurité bancaires suisses sont beaucoup plus difficiles à percer. Et si ces Coréens sont aussi secrets et malins qu’ils le paraissent, ils doivent jongler avec les numéros de compte.

— Je vais faire du café pendant que vous commencez à chercher. »

Yaeger considéra un instant Pitt d’un air pensif.

« Vous n’abandonnez donc jamais ?

— Jamais. »

L’informaticien fut surpris par la soudaine sécheresse du ton. Il haussa les épaules :

« D’accord, mais je ne garantis rien. Ça prendra peut-être toute la nuit et je ne suis même pas sûr d’y arriver. Il va falloir que j’envoie différentes combinaisons chiffrées jusqu’à ce que je tombe sur le bon code.

— Vous avez quelque chose de mieux à faire ?

— Non, mais puisque vous vous occupez du café, j’aimerais bien aussi manger un morceau. »

La banque de Berne ne leur apprit rien. Toutes les pistes s’arrêtaient là. Ils vérifièrent auprès de six autres établissements suisses, tablant sur le hasard. En vain. Le problème devenait presque insoluble. Il fallait essayer auprès de toutes les grandes banques européennes et il y en avait plus de six mille.

« Je commence à désespérer, fit Yaeger cinq heures plus tard.

— Moi aussi.

— Je continue ?

— Si ça ne vous dérange pas. »

L’informaticien s’étira dans son fauteuil.

« Moi, ça m’excite. Mais vous, vous avez l’air crevé. Allez donc dormir un peu. Si je déniche quelque chose, je vous appelle. »

 

Pitt quitta avec soulagement l’immeuble de la N.U.M.A., laissant Yaeger poursuivre ses recherches, et il reprit le chemin de l’aéroport. Il arrêta la Talbot-Lago devant son hangar, tira un petit émetteur de sa poche et appuya sur un code présélectionné. Les systèmes d’alarme furent aussitôt neutralisés et la porte massive bascula. Il gara la voiture, refermant la porte et rebranchant les systèmes d’alarme à l’aide de la télécommande, puis il monta l’escalier, entra dans le living et alluma la lumière.

Un inconnu était installé dans son fauteuil favori, les mains croisées sur une serviette posée sur ses genoux. Il semblait attendre avec patience, les lèvres étirées sur une ébauche de sourire indifférent. Il était coiffé d’un feutre démodé et son manteau coupé sur mesure pour dissimuler l’arme qu’il portait était entrouvert, dévoilant la crosse d’un automatique 45.

Les deux hommes se dévisagèrent un long moment sans parler, comme deux adversaires qui se jaugent.

Ce fut Pitt qui se décida à briser le silence.

« Je suppose que je dois maintenant vous demander qui vous êtes et ce que vous faites là ? »

Le sourire de l’étranger s’élargit.

« Je suis un détective privé, Mr. Pitt. Je m’appelle Casio. Sal Casio. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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